Faute inexcusable : la prévention et la défense, deux piliers face à une responsabilité sans limite

Longtemps perçue comme un contentieux marginal, la faute inexcusable de l’employeur (FIE) est devenue un risque majeur pour toutes les entreprises, publiques comme privées.

Les dernières décisions rendues par les juridictions sociales — de la Cour de cassation (2022 et 2023) à la Cour d’appel de Grenoble (2025) — redéfinissent la frontière de la responsabilité et imposent une double exigence : prévenir et se défendre.

Une responsabilité étendue… parfois jusqu’à l’absurde

Le 23 janvier 2025, la Cour d’appel de Grenoble a reconnu la faute inexcusable de France Travail (ex-Pôle emploi) dans l’homicide d’une conseillère commis par un usager en 2021.

Les juges ont considéré que le risque d’agression était connu, documenté, et que les mesures de sécurité étaient insuffisantes : absence de séparation physique, dispositifs de contrôle inadaptés, portiques défaillants, budget prévention dérisoire.

La conscience du danger était donc caractérisée, même si l’agression provenait d’un tiers extérieur à l’entreprise.

Cet arrêt marque un tournant :

  • La faute inexcusable peut désormais être retenue même lorsqu’un tiers est à l’origine du drame, dès lors que le risque était prévisible ;
  • Elle n’exige plus un lien de causalité direct entre le manquement et le dommage, mais la preuve d’un risque prévisible insuffisamment maîtrisé.

Le risque “tiers”, autrefois considéré comme exogène, devient désormais un risque professionnel imputable à l’employeur.

 

Une faute inexcusable sans AT-MP : OUI !

Mais l’extension du champ de la faute inexcusable ne s’arrête pas là.
La Deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 7 avril 2022, a considéré, dans la lignée de ses précédentes décisions, que la faute inexcusable de l’employeur peut être reconnue même si l’accident du travail ou la maladie professionnelle n’a pas été déclaré et pris en charge comme tel par la Caisse primaire d’assurance maladie.

Dans cette affaire, un salarié, victime d’une maladie ayant entraîné une amputation d’un membre inférieur, avait saisi la juridiction de Sécurité sociale d’une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, alors même qu’il n’avait jamais déclaré cette maladie à la Caisse primaire d’assurance maladie.
La Cour d’appel avait rejeté sa demande au motif qu’il n’existait pas de maladie professionnelle préalablement reconnue — raisonnement censuré par la Cour de cassation, qui a rappelé que la reconnaissance de la faute inexcusable est indépendante de la prise en charge de la maladie ou de l’accident.

Morale de l’affaire : pas de répit pour les employeurs, puisque même en l’absence de déclaration de sinistre professionnel, un salarié peut tenter de faire reconnaître l’existence d’une faute inexcusable imputable à son employeur.

 

Un contentieux en pleine explosion

  • 2 800 nouvelles demandes de reconnaissance en 2023 (source Prévention BTP)
  • Près de 200 millions d’euros de rentes majorées versées aux victimes la même année
  • Une concentration sectorielle : le BTP représente 32 % des fautes inexcusables recensées, pour seulement 14 % des AT/MP

Et surtout, un élargissement du champ d’indemnisation par la jurisprudence de la Cour de cassation (2023), qui permet désormais la réparation intégrale du déficit fonctionnel permanent en dehors de la rente AT/MP.

Les indemnisations peuvent atteindre 500 000 à 1 million d’euros, selon la gravité du préjudice et la situation familiale de la victime.

Les conséquences sont multiples :

  • Alourdissement du coût direct des sinistres,
  • Hausse des taux de cotisation AT/MP,
  • Impact réputationnel,
  • Et risques pénaux pour les dirigeants.

Outre la majoration de la rente, l’employeur peut être condamné à réparer intégralement les préjudices complémentaires : souffrances morales, déficit fonctionnel, perte de qualité de vie, préjudice d’agrément, préjudices économiques des ayants droit.

Ces sommes, avancées par la CPAM, sont ensuite remboursées par l’entreprise, avec un impact direct sur sa trésorerie et son image.

 

La responsabilité pénale du dirigeant : un risque personnel

Lorsque la faute inexcusable révèle un manquement grave à une obligation de sécurité, les dirigeants peuvent être poursuivis personnellement sur le fondement du Code pénal :

  • Article 223-1 : mise en danger délibérée d’autrui – jusqu’à 1 an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende ;
  • Articles 222-19 et 222-20 : blessures involontaires – jusqu’à 2 ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende ;
  • Article 221-6 : homicide involontaire – jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende.

Les poursuites pénales ne sont plus exceptionnelles : elles visent désormais les chefs d’entreprise, DRH, responsables HSE ou dirigeants délégués.
L’imprudence ou la négligence caractérisée suffit à engager leur responsabilité personnelle, même en l’absence d’intention.

 

Prévenir : la première ligne de défense

La prévention reste le meilleur bouclier juridique et managérial.
Encore faut-il qu’elle soit documentée et démontrable : les juges n’exigent pas la perfection, mais des moyens renforcés et traçables.

La prévention n’est plus seulement une obligation, c’est une preuve.

Pourtant, seuls 50 % des employeurs organisent aujourd’hui des formations à la prévention, et beaucoup peinent à formaliser leur démarche documentaire.

Or, la documentation (DUERP, fiches de risques, registres de sécurité, rapports de visite, traçabilité des alertes, plans d’action) constitue la pièce maîtresse de la défense en cas de contentieux.

 

Se défendre : une nécessité stratégique

Si la jurisprudence semble de plus en plus sévère, les juges conservent une appréciation souveraine des faits.

Chaque dossier est unique : un accident évitable dans une entreprise peut être jugé “inévitable” dans une autre, selon le niveau de preuve, la réactivité et la cohérence du dispositif de prévention.

La reconnaissance d’une faute inexcusable n’est jamais automatique : elle résulte d’un débat technique et juridique exigeant, où la qualité de la défense et la présentation des faits peuvent faire la différence entre une condamnation et un rejet.

Un dossier bien construit, étayé par des preuves de prévention et défendu par des avocats spécialisés en contentieux de la sécurité sociale et du travail, peut permettre :

  • Le rejet de la faute inexcusable,
  • Ou une limitation substantielle des indemnités.

C’est souvent la qualité de la défense qui fait la différence entre une décision lourde et une issue équilibrée.

L’expertise Onelaw : prévenir, documenter, défendre

Face à ce risque systémique et à cette judiciarisation croissante, Onelaw accompagne les entreprises et leurs dirigeants à chaque étape :

  • Mise en conformité et traçabilité du DUERP et des actions de prévention ;
  • Formation des dirigeants et cadres sur leurs obligations et les réflexes à adopter en cas de sinistre ;
  • Défense contentieuse spécialisée devant les juridictions civiles, pénales et de sécurité sociale.

Nos avocats allient expertise juridique pointue et expérience opérationnelle du terrain pour bâtir des stratégies de défense adaptées, fondées sur les preuves, les pratiques internes et les marges d’appréciation offertes par la jurisprudence.

Ils maîtrisent les interactions entre droit social, pénal et sécurité sociale, garantissant une défense globale et stratégique de l’entreprise et de ses dirigeants.

Conclusion

La faute inexcusable n’est plus une hypothèse exceptionnelle : c’est un risque de gouvernance.
Mais les juges ne condamnent pas les employeurs pour ne pas avoir tout prévu – ils sanctionnent ceux qui ne peuvent prouver qu’ils ont tout fait pour protéger.

Prévenir, documenter, se défendre : les trois piliers de la protection juridique des employeurs.

Pour toute question, notre équipe reste à votre disposition.

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