onelaw-perte-gain-pme-communautaire

Décision de la Cour de cassation du 11 janvier 2024 sur les longueurs d’arrêts : le juge, l’avocat et le médecin.

L’arrêt précité intéresse autant qu’il inquiète les acteurs du contentieux des sinistres professionnels (contestation des accidents du travail et maladies professionnelles – les « AT/MP » – par les employeurs).

Pour résumer, l’affaire traite de la contestation par l’entreprise de la longueur, qu’elle estime excessive, des arrêts de travail d’un salarié que la Caisse primaire d’Assurance Maladie (« CPAM ») a considérés comme étant en lien avec son accident du travail.

Cette contestation est aujourd’hui possible lorsque l’employeur qui dispose d’indices, d’éléments ou avis médicaux, démontre que cette durée a – pour tout ou partie – une autre origine que l’évènement professionnel déclenchant.

Lorsque l’employeur manque d’informations permettant de préciser la durée légitime des arrêts devant être rattachés à ce même évènement, il peut – en produisant des éléments valant commencement de preuve – être aidé par une expertise que le juge peut accorder sur le fondement des articles L142-10 et R 142-16-3 du Code de la sécurité sociale.

Dans l’affaire du 11 janvier 2024, de nombreux commentateurs voient la fin de la possibilité pour l’employeur de contester la mise à sa charge d’arrêts à rallonge injustifiée, aux motifs que la cour dirait :

  • Au terme de sa réponse au premier moyen de cassation, que l’absence de communication par le médecin-conseil de la Caisse, devant les organismes de recours amiable, des éléments ayant permis de valider le rattachement des arrêts à l’AT/MP à l’accident du travail, n’expose pas la décision de la CPAM à sanction, puisque l’employeur peut demander judiciairement une expertise sur ce point,
  • Au terme de sa réponde au second moyen, que le juge peut refuser d’accorder ladite expertise.

Le tout privant l’employeur de son droit fondamental de pouvoir vérifier le bien fondé des sommes mises à sa charge.

La lecture attentive de l’arrêt (Cour de cassation, 2e chambre civile, 11 Janvier 2024 n° 022-15.945) à l’aune des décisions rendues ces dernières années et de la pratique des acteurs de la contestation des AT/MP, invite à prendre du recul.

Les faits d’espèce, tels que rappelés dans l’arrêt d’appel (Cour d’appel, Nancy, Chambre sociale, 1re section, 15 Mars 2022 – n° 21/02230), témoignent du fait :

  • que l’employeur avait ici eu communication des certificats médicaux à l’occasion des débats précontentieux contre la CPAM,
  • que rien dans le détail de ces certificats, au regard des lésions indemnisées et de leur cohérence, ne permettait de remettre en cause le renouvellement des arrêts,
  • qu’aucune référence n’est faite à un avis médical qui aurait relevé une incongruité dans la continuité de ces arrêts, ou dans la situation médicale globale du salarié.

En l’absence de doute, dans l’esprit du magistrat, sur le bien-fondé de l’avis émis initialement par le médecin-conseil, celui-là s’est estimé suffisamment informé pour refuser -évidemment- de déclarer inopposable une partie des arrêts de travail, mais également d’accorder l’expertise sollicitée par l’employeur.

Au cas d’espèce, la solution semble logique, le juge n’ayant pas vocation, dans aucun pan du droit, à palier les carences probatoires du demandeur.

Il y a fortement à croire que la décision aurait été inverse dans de nombreuses autres situations de fait, et notamment :

  • si l’employeur avait produit un avis médical mettant clairement en cause la longueur des arrêts,
  • si les dits arrêts avaient subi une ou plusieurs « coupures » effectives dans leur continuité,
  • si les certificats de prolongation avaient comporté des nouveautés, ou des incohérences au regard du certificat initial,
  • si l’employeur avait pu rapporter la preuve de l’existence d’un état pathologique du salarié évoluant en parallèle de celui justifiant initialement de la prise en compte des arrêts dans leur intégralité, ou encore d’un évènement exclusif de la relation de travail,
  • et si l’employeur n’avait pas eu, au contraire du demandeur à la cause, accès aux certificats médicaux, puisque dans ce cas il aurait valablement soutenu que la prise de décision par la CPAM avait décidément été totalement opaque.

Il faudra évidemment veiller à ce que la Caisse ne fasse pas utilisation de cette décision de manière déloyale, c’est-à-dire dans des cas d’espèce – contraires – où la juridiction est placée dans une situation d’incertitude, parce que l’employeur apporte des éléments permettant de démontrer (cela vaut l’inopposabilité), ou de laisser raisonnablement penser (cela justifie de le vérifier par l’expertise), qu’un autre évènement que l’AT/MP initial est à l’origine d’une partie des arrêts dont la longueur est critiquée.

Cette précaution se comprendra d’autant plus que l’ultime motivation de la Cour intrigue, qui prétend que l’employeur de la cause du 11 janvier 2024 n’aurait pas été placé dans une situation d’inégalité des armes vis-à-vis de la CPAM, son contradicteur à l’action, puisque le défaut de communication du rapport médical réclamé était à mettre au débit de la CNAM, un « tiers »…

Le rédacteur se contentera de supposer que les magistrats de la Haute juridiction, agacés par les fréquents recours « à l’aveugle » de certains employeurs en pareille situation, se sont saisis d’un dossier où l’entreprise ne disposait pas d’éléments de contestation probants, pour rappeler à leur manière que les juges du fond sont souverains.

Souverains pour apprécier s’ils sont suffisamment éclairés pour prendre directement une décision ( dans l’arrêt comment, une décision de rejet de la demande ; on les invite à faire de même, mais dans le sens contraire, c’est à dire en déclarant inopposable les arrêts « trop longs », sans passer par la confirmation de l’expertise, lorsque l’employeur apporte suffisamment d’éléments), ou pour décider d’en référer à l’avis d’un sapiteur, qui est le médecin expert désigné par le tribunal.

Sous cette perspective, la lecture de l’arrêt permet de continuer à faire confiance au juge – qui doit également rester le garant du droit des employeurs à comprendre les charges qui pèsent sur leurs cotisations URSSAF.

Et d’inviter les employeurs à faire confiance aux avocats pour analyser et contester sérieusement leurs dossiers de longueurs d’arrêts, en partenariat avec les sachants médicaux, qui doivent garder le dernier mot dans ce contentieux.

Rédaction : Franck Burel

leyton-legal-avocats-lyon-logo

Adresse

Siège social :
2 quai du commerce, 69009 Lyon.

Nous contacter

04 72 16 10 68
contact@onelaw.fr